mercredi 14 mars 2007

les oiseaux du temple Mixay

le séjour touche à sa fin

mon récit commence

au quartier des expatriés

pour le prix d'un jus de canne

à sucre, j'ai acheté un stylo

qu'ici comme à Bruxelles

on appelle un bic

à la terrasse du Banneton

french bakery and pastry

l'expresso et le croissant

parlent un français sans accent

à garder le regard baissé sur

la table

je pourrais me croire à Paris

mais dans mon esprit

les mots se bousculent

comme au dehors les bruits de

la ville

il est bientôt neuf heures

une heure bien tardive

pour qui redoute la chaleur

à dix heures

l'équilibre sera parfait

entre la température du dehors

et celle du corps

en entrant dans une boutique

on aura la sensation inverse

d'un hiver en France :

le froid de l'air conditionné

au lieu de la chaleur du chauffage

central

un tuktuk passe

dont le son nasillard

couvre pour un temps

(la mesure est ouverte

quelques secondes, une éternité)

les dialogues en anglais et en

français de mes voisins de terrasse

puis l'ambiance redevient ce qu'elle

était

les motos défilent

à l'instant s'avance une somptueuse

Mercedes noire

son ralenti produit un silence

purement visuel

dans mon dos

à quelques mètres

s'activent des ouvriers

j'entends chaque coup de pelle

qu'ils donnent dans un tas de sable

la mesure, cette fois, est précise

le tempo est parfait

les oiseaux vont et viennent

d'une maison à une autre

d'un toit à un arbre

impossible d'entendre leurs chants

un vieille femme s'approche

en tendant la main

je la salue

en levant mes mains jointes

et baissant la tête

aussitôt elle rebrousse chemin

effrayée par mon signe de respect

j'ai donc perdu aussi

le langage du corps

ma soeur Bi avait une boutique

au quartier du That Luang

elle vendait des accessoires pour

vélos et scooters

je me souviendrai toute ma vie

d'un jour de mon premier retour

c'était en mille neuf cent quatrevingt-

onze

un vieil homme aveugle s'était

accroupi devant le seuil de la

boutique

ma soeur était allée vers lui à

genoux pour lui donner des billets

Bi vit maintenant au Nouveau Mexique

économisant l'argent qu'elle gagne

pour revenir un jour habiter la terre

qui lui est réservée au village de ma

mère

cette nuit

à la lumière d'un néon

j'ai lu le journal "le rénovateur"

daté d'octobre 2006

un article expliquait deux notions

fondamentales du boudhisme des

origines : impermanence et causalité

la première dit que tout a un début

et une fin et la seconde que toute

cause, c'est-à-dire toute action

accomplie par une personne au cours

de sa vie, aura tôt ou tard un effet

même après la mort

la somme des causes est appelée karma

ma mère a soixante-dix ans

elle dit qu'elle est proche de mourir

elle ajoute en riant

avec son français d'un temps ancien :

"mère vivante, ça va bien

mère mourir, c'est pareil"

puis, d'un ton soudainement grave :

"quand toi repartir,

moi pleurer beaucoup"

la scène avait lieu hier soir

dans une maison de ma soeur aînée

au milieu d'une assemblée nombreuse

tout le monde était ivre

mais personne ne s'arrêtait

ni de boire, ni de manger

mon voisin immédiat ne buvait jamais

sans avoir trinqué avec moi

tard dans la soirée, il a pris ma

main qu'il a gardée dans la sienne

comme on le fait avec un enfant pour

lui éviter de se perdre

enfin, quand il m'a été aussi

difficile de rester assis que de me

tenir debout

j'ai rejoint ma chambre sans prendre

la peine de dire au revoir

il est dix heures maintenant

les enfants et les adolescents sont

dans leurs écoles

tous les commerçants sont dans leurs

boutiques

la ville s'est calmée

les oiseaux du temple Mixay

font entendre leurs chants

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