mardi 4 novembre 2008

Rencontre avec Gee-Jung Jun


Kiyé Simon Luang : – Gee-Jung, quel sens donnes-tu au titre de ton film, Fleur du vent ?

Gee-Jung Jun : – Fleur du vent, c'est le nom coréen de l'anémone. C'est une fleur sauvage. En Corée, on la trouve en montagne, là où les hommes vont rarement. Il y a de la neige partout, il n'y a pas de végétation, la seule plante qu'on trouve, c'est l'anémone. Elle est très belle, mais on ne la touche pas, car elle est toxique, elle est urticante comme les méduses. Ce n'est pas de sa faute, c'est son destin. Les gens l'aiment, mais elle ne peut pas accepter leur amour car elle leur porterait malheur.

KSL : – L'histoire de l'anémone, c'est un mélodrame…

GJJ : – Dans le film que je veux écrire, il y a deux filles différentes mais elles ont le même visage et le même caractère. La question est de savoir si elles ont le même destin. Oui, c'est un mélodrame. Ce qui m'intéresse, c'est le temps et l'espace. Chacun a son propre temps. En ce moment, c'est la même heure pour nous deux, mais ton temps et mon temps ne sont pas les mêmes. Combien de temps faut-il aux étoiles pour renaître ? Les hommes ne peuvent pas le savoir. Le même genre de question se pose pour l'espace. Quand on est dans un lieu difficile, apparemment sans issue, on peut encore avoir l'espoir de s'en évader.

Je trouve un certain intérêt aux films d'amour ou mélodramatiques, même ceux qui ne font qu'enchaîner des scènes de couples. Mais mon film ne sera pas comme ça. Les gens plus âgés avaient beaucoup de restrictions dans leur vécu de l'amour après le mariage à cause de la société. Par conséquent, les films montrent seulement une sorte de pathos et d'amour rebelle. Je ne regrette pas le passé et souhaite que les problèmes anciens ne se reproduisent pas.

Pour moi, dans l'amour, ce n'est pas grave si on ne vit pas ensemble. L'idéal de l'amour, c'est le contraire de l'enfermement. Même si je faisais un film mélodramatique, le message serait le même. Pour moi, le cinéma mélo, en général, est surchargé de pathos. Je recherche une tonalité plus rationnelle.

KSL : – Tu cherches donc une nouvelle manière de faire du mélodrame.

GJJ : – Mon film sera très calme, silencieux. Pour les spectateurs, il semblera plus triste que tous les mélos qui existent, mais j'associe Fleur de vent à la pensée optimiste. Grâce à la rotation ou transmigration des âmes, l'histoire ne peut pas s'arrêter sur un drame, parce qu'après cent, mille ou un million d'années, les personnes qui s'aiment peuvent se retrouver dans le même espace et le même temps.

KSL : – Quels lieux correspondent à l'histoire que tu veux raconter ?

GJJ : – La route des crêtes entre Cassis et La Ciotat m'intéresse parce qu'elle est dangereuse. C'est un lieu où on peut perdre du temps, ça c'est important. Plus exactement où on peut oublier le temps. Comme dans l'espace intersidéral.

KSL : – Tu vas souvent dans ce lieu ?

GJJ : – Oui, pour rêver à mon film en communiant avec la nature. Mais pour écrire le scénario, j'ai besoin de faire des repérages précis en faisant des dessins et des photographies, et j'ai besoin de prendre des notes.



KSL : – Tu es aussi photographe… Est-ce que tu ne peux pas raconter la même histoire par un travail photographique ?

GJJ : – Ce n'est pas la même chose. Pour moi, la photographie est utilisée comme témoignage ou document renvoyant à la réalité. Le cinéma offre plus de possibilités pour parler de mon intériorité.

KSL : – Ton premier film, France 2007, était aussi un travail photographique…

GJJ : – C'est vrai, mais pour ce film, j'ai utilisé la caméra 16 mm comme si c'était un appareil photographique. Parce que ça m'a donné beaucoup de possibilités pour construire une histoire par rapport au temps et par rapport à l'espace. C'est ça le cinéma. La nécessité de la photographie est dans l'instant, elle peut être comparée à l'acte de faire l'amour. Si je n'ai pas de désir, même si je vois qu'il y a une très belle image à prendre, je ne la prendrais pas. Avec le cinéma, il y a beaucoup de plaisir dans la préparation. La préparation d'un film, c'est comme la préparation d'un mariage ou la construction d'une maison. Je veux me marier avec le cinéma.

KSL : –  Je trouve que l'histoire de Fleur de vent est très coréenne. Et je me demande si c'est possible de faire un film coréen en Provence.

GJJ : – Ce n'est ni français, ni coréen. C'est Gee-Jung ! Je suis né Coréen mais j'habite en France. Quand j'étais en Corée, je n'aimais pas le système coréen de production cinématographique. Je suis venu en France pour continuer mon chemin de cinéma. Les films que j'aime sont les films français. Je suis parti de Corée avec l'intention de rencontrer Jean-Luc Godard. Quand je serai prêt, j'irai chez lui avec mon film et une bouteille de vin !

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