Journal de diffusion

    >>>   

Peu de différences, dans le fond, entre partir en tournage et reprendre la route pour une première projection du film. D'autant que ce dernier ne peut, à ce jour, être déclaré terminé. Certes, le montage images ne bougera plus. Mais le son est en chantier. S'il ressemble déjà au film sans images que j'avais rêvé avant de commencer à filmer, il est encore comme un bronze attendant d'être ciselé pour exister dans sa forme définitive et accomplie. Enfin, la copie de diffusion en  format 35 mm ou en nouveau standard numérique est notre dernier combat de production. Le terme du voyage est loin et cela nous convient, car nul ne se projette vraiment dans l'après Ici finit l'exil. 

On reprend les mêmes, donc, Aaron, Céline, Kiyé, reformant trio, ou système, comme on dirait du système planétaire, du système syntaxique, du système nerveux ou cérébral... et même du système métrique qui contient plus de complexité qu'il n'y paraît (Le mètre (symbole m, du grec metron, mesure) est l'unité de base de longueur du Système international (SI). Il est défini, depuis 1983, comme la distance parcourue par la lumière dans le vide en 1⁄299 792 458 seconde. Source internet ).

On repart vers l'inconnu. Théo est en Italie, Julien travaille sur un autre film, les amis de Film flamme s'activent à la préparation de la Semaine asymétrique, Thomas et Francine n'ont pas de répit dans leur mouvement perpétuel de production et distribution... Quand j'y pense, et je pense en écrivant, il y a quelque chose d'un western dans l'aventure de faire un film : il faut tout inventer - les histoires, les outils, le langage, les lois - à l'intérieur d'un paysage qui est là depuis très longtemps. Prenez le sheriff, par exemple, c'est à peine s'il a un uniforme : ôtez lui son étoile, il redevient un homme qu'il est difficile de distinguer des autres et qui serait bien en peine de répondre à la question : qu'est-ce que toi et ta femme êtes venus faire dans ce trou perdu ? Ou bien la danseuse qui danse le french cancan comme si elle était à Paris, à la nuance près qu'elle n'est justement pas à Paris mais dans une ville de maisons en planches au bord d'un chemin de fer qui sait seulement aller vers l'ouest. Qu'on ne s'y méprenne pas, je ne fais pas le portrait de la France. Je parle de cinéma, cette invention sans avenir selon les termes mêmes de son inventeur. Aaron avec son ACL bien en main, l'œil vissé au viseur, sa cellule autour du cou : voici comment un corps, un regard, une optique, une mécanique, une chimie argentique, un langage... forment un système dont aucune loi n'est gravée dans le marbre. Ainsi de Céline, micros et magnéto en main, casque sur la tête. Ainsi de Julien devant ses machines qui recyclent dans le virtuel les mots des machines anciennes : chutier, couper, coller... en les mélangeant aux mots nouveaux dont les plus usités sont : fichiers, copier, configurer, importer, exporter...

Cela fait bientôt dix ans que j'ai emprunté la route du cinéma en emboîtant le pas à d'autres qui sont devenus des amis. Aux spectateurs qui viendront voir notre film, je ne sais pas à l'avance ce que je dirai, comme je ne savais pas ce que j'écrirai avant de commencer ce texte. Mais l'exercice est plaisant qui consiste à raconter une histoire en cueillant les mots au fur et à mesure que l'on avance vers l'inconnu.

  u