dimanche 7 novembre 2010

Est-ce bien raisonnable d'écrire encore sur les repérages d'un film qui commence à être diffusé ?


Il y a d'une part la tristesse d'un journal dépassé seulement par le temps qui a passé, rendant caduc son objet même : les repérages cessent quand commence le tournage. Il y a d'autre part mon envie de suivre une intuition qui me travaille depuis mes premiers gestes dans la pratique du cinéma – gestes au sens le plus large, qui comprennent à la fois ceux de l'écrivain, du photographe, du comédien, du voyageur, du géomètre, du peintre, du dessinateur, du chansonnier... –, intuition qu'il se joue dans les repérages plus qu'une collecte d'informations en vue de la réalisation d'un plan de travail rationnel. Dans mes repérages, j'ai moins établi des mesures du monde extérieur que je n'ai tenté de prendre la mesure de mon rapport à ce monde qui, parce que tout mon esprit était tendu vers le projet de raconter une histoire au moyen du langage cinématographique, m'apparaissait dès lors sous un jour nouveau. Rien n'avait changé, mais tous les détails du quotidien prenaient des aspects inédits, comme si possibilité m'était donnée d'évoluer dans les paysages familiers à la manière d'un étranger qui débarquerait dans un nouveau pays. On est loin de ce qu'on appelle repérages dans une école de cinéma.
Enfin, il y a que le film Ici finit l'exil se termine sur une image qui contient de nombreux éléments du film suivant que nous commençons déjà à développer avec mon producteur, Thomas Ordonneau. Ce sera un court métrage fiction, dont le le titre est Tuk tuk. Voici, en primeur comme le beaujolais, la note d'intuition de l'auteur.

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Tuk tuk

projet de moyen métrage fiction

auteur : Kiyé Simon Luang

production Shellac sud / Film flamme


Il arrive parfois que la modernité engendre des objets qui échappent à leur logique utilitaire première pour n’avoir plus d’autre fonction que de faire ressortir le caractère des peuples qui les ont adoptés. Ainsi en est-il du tuk tuk, véhicule très répandu en Asie, servant au transport des personnes, des animaux et des marchandises sans aucune distinction ni d’espèce ni de valeur économique. C’est le véhicule le mieux adapté aux routes de terre laotiennes, étant entendu qu’il est aussi le mieux adapté à la mentalité lao. Parce qu’il n’a pas de suspension, le tuk tuk oblige son chauffeur à se montrer d’une grande souplesse dans sa conduite et les passagers à faire preuve d’un détachement sans faille. Les touristes soucieux de leur confort préfèreront louer un 4 x 4 avec air conditionné et sièges en cuir. Sur ce chapitre du confort, il faut dire que tout le pays lao est inconfortable selon les critères internationaux. L’hygiène y est précaire, les infrastructures réduites au strict minimum. Or, cet inconfort n’est pas perçu avec le même degré selon qu’on est un étranger ou un habitant de ce pays qui, par ailleurs, est réputé pour la douceur de ses mœurs.

Le personnage principal du film serait donc le tuk tuk du titre, comme l’âne Balthazar était le héros du film de Robert Bresson. Nous nous garderons bien entendu d’aller plus avant dans la comparaison. En outre, plus qu’un personnage et plus qu’un acteur, le tuk tuk déterminerait la forme même du film : réceptacle de la fiction et studio mobile, transportant à la fois les personnages, les acteurs, l’histoire, la petite équipe technique (un cadreur, une preneuse de son) ainsi que le matériel. Le tuk tuk étant un piètre travelling, peu aidé en cela par l’état des routes du Laos, la forme s’attachera plutôt à ciseler des ellipses. Il s’agit certes de voyager à travers un pays et ses paysages mais en procédant par des sauts dans l’imaginaire des personnages, une manière de rêverie qui tantôt s’ancre dans une humanité, des visages, du réel et tantôt se déploie dans des espaces de pure invention propre au cinéma de fiction.

L’auteur ne cherche nullement ici à cacher que la fiction du film Tuk tuk s’origine dans l’intimité de son histoire personnelle. La fiction, si elle est une adaptation ou une déformation d’une réalité, n’en demeure pas moins un levier extrêmement efficace pour dépasser les considérations de pudeur, de secret familial, de fidélité à la réalité. C’est une liberté appelée fiction que nous nous donnons, dont chacun sait qu’elle comporte aussi des contraintes d’écriture assez fortes. En revanche, il nous semble important de dire que notre désir de cinéma se situe précisément dans un traitement de la fiction proche du traitement d’un documentaire.

Dans cette perspective esthétique, qu’est-ce qu’offre un tuk tuk que n’offre pas une voiture ? La possibilité de se fondre dans le paysage. C’est une donnée essentielle au projet de film Tuk tuk, qui détermine par exemple le choix de filmer les images avec l’Aaton A Minima, caméra compacte et légère conçue pour voyager. La légèreté du véhicule correspond à notre envie de légèreté dans la réalisation du film. Précisément parce que l’histoire en elle-même, le sujet si l’on veut, est empreint de gravité.

Les acteurs sont membres de la famille de l’auteur, ils sont déjà apparus dans ses films documentaires précédents. Les preneurs d’images et de sons sont membres de sa famille de cinéma (collectif Film flamme) : Aaron Sievers et Céline Bellanger qui ont travaillé sur son film précédent, Ici finit l’exil. Ils l’accompagneront du tournage jusqu’au montage du film.


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